La recrudescence du conflit dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) a provoqué un « afflux massif » de violences sexuelles de grande ampleur, perpétrées par des militaires de la RDC, des groupes armés associés aux pays voisins, des forces de maintien de la paix de l’ONU et des membres des communautés, selon un nouveau rapport publié aujourd’hui par Physicians for Human Rights (PHR).
Ces violences sexuelles généralisées et graves – au moins 113 000 cas signalés par l’Organisation des Nations Unies (ONU) pour la seule année 2023 – exigent une action immédiate de la part du gouvernement de la RDC, des pays voisins et de la communauté mondiale pour soutenir les survivant(e)s et mettre fin à la violence, a déclaré PHR.
« Notre rapport constate un nombre stupéfiant de personnes ayant subi des violences sexuelles liées au conflit – y compris le viol et l’esclavage sexuel – qui sont traitées dans les établissements de santé de l’est de la RDC,» a déclaré Payal Shah, JD, co-autrice du rapport et directrice de la recherche, des affaires juridiques et du plaidoyer à PHR. « Les survivant(e)s sont confrontés à la violence sexuelle en raison de l’insécurité grandissante et du manque de nourriture et de combustible de cuisson dans les camps de personnes déplacées internes (PDI). Et ce, pendant que les cliniciens manquent de ressources pour traiter ce nombre croissant de survivant(e)s et assurer la documentation médico-légale nécessaire à la responsabilisation et l’imputabilité. »
« Afflux massif de cas » : Perspectives du personnel de santé en première ligne sur la violence sexuelle liée au conflit envers les adultes et les enfants dans l’est de la République démocratique du Congo documente les témoignages de cliniciens sur des patient(e)s qui ont été confrontés à des rencontres violentes avec des forces armées, notamment des agressions sexuelles armées commises par de multiples auteurs, des pénétrations avec des objets étrangers et des captivités forcées. Les agents de santé ont indiqué que les violences sexuelles avaient entraîné un large éventail de préjudices médicaux et psychologiques, notamment des lacérations, des paralysies, des infections sexuellement transmissibles, des grossesses non désirées et des troubles de stress post-traumatique (PTSD).
La résurgence de la violence et les déplacements de populations qui en découlent ont conduit à des niveaux sidérants de violences sexuelles, l’ONU faisant état de plus de 113 000 cas enregistrés en 2023. Les cas documentés de violences sexuelles liées aux conflits ont plus que doublé au cours du premier semestre 2024, par rapport à la même période en 2023. Ces chiffres sont probablement sous-estimés en raison des difficultés liées à l’établissement de rapports. Médecins sans Frontières (MSF) rapporte que l’organisation a traité plus de 17 000 cas de violences sexuelles dans cinq provinces de la RDC seulement au cours des cinq premiers mois de 2024. Le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) fait également état de 940 000 personnes déplacées pour la seule année 2024, ce qui porte le total à 6,4 millions de personnes déplacées en RDC.
Le nouveau rapport de PHR est l’une des premières études à ce jour à documenter les perspectives et les récits des travailleurs de santé qui ont soigné des enfants et des adultes ayant survécu à des violences sexuelles liées au conflit dans l’est de la RDC.
« Le monde ne doit pas détourner le regard de ces violations du droit international », a déclaré Shah. « Le gouvernement de la RDC, les autres parties au conflit et les acteurs régionaux et internationaux doivent agir maintenant pour prévenir les violences sexuelles liées au conflit en améliorant la sécurité dans l’est de la RDC, y compris autour des camps de personnes déplacées, et en remédiant aux pénuries de nourriture et de combustible. Les cliniciens nous disent qu’ils ont un besoin urgent de ressources pour améliorer les soins médicaux, le soutien psychosocial et la documentation médico-légale afin de prévenir les souffrances au long terme des survivant(e)s de violences sexuelles et de s’assurer que les survivant(e)s puissent obtenir justice ».
Les conclusions de PHR sont basées sur des entretiens semi-structurés avec 16 professionnels de la santé et travailleurs humanitaires dans les zones touchées par le conflit au Nord et au Sud-Kivu, en RDC. La méthodologie de recherche de PHR, centrée sur les survivant(e)s, atténue le risque de les re-traumatiser et saisit les perspectives des cliniciens, qui sont les témoins des traumatismes physiques et psychologiques endurés par les survivant(e)s.
Les cliniciens interrogés par PHR rapportent :
- Des survivant(e)s de violences sexuelles liées aux conflits parfois âgés de tout juste trois ans.
- Une forte augmentation des cas de violences sexuelles dans les zones de santé de Minova, Kirotche et Goma, la violence ayant “augmenté de façon spectaculaire » dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu depuis 2022.
- Les survivant(e)s ont subi des violences de la part de groupes d’auteurs multiples, y compris de diverses forces militaires gouvernementales, de groupes rebelles et de milices actives dans le conflit :
- Les survivant(e)s ont identifié les membres de plusieurs groupes armés, y compris ceux soutenus par les voisins de la RDC (comme le Mouvement du 23 mars ou M23) et l’armée de la RDC elle-même, comme des auteurs de violences sexuelles visant à susciter la peur, à intimider et à déplacer les communautés touchées.
- Des membres de la communauté, des membres de la famille, des pairs et des employeurs ont également été identifiés comme des auteurs de violences sexuelles, ainsi que du personnel affilié aux Nations Unies.
- Un agent de santé a décrit des forces de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) qui accordaient des « faveurs » aux familles en échange de relations sexuelles avec leurs enfants.
- Les violences sexuelles ont été perpétrées par des personnes parlant le swahili, le lingala et le kinyarwanda.
- Les survivant(e)s font également état de multiples formes de violences sexuelles, y compris le viol en captivité et la pénétration avec des objets étrangers.
- Dans un cas, une survivante a déclaré à un travailleur de santé avoir été détenue pendant cinq jours et dans un autre cas, une survivante a déclaré avoir été détenue en captivité pendant un mois avant de s’échapper.
- Les survivant(e)s ont déclaré avoir été violés après avoir quitté les camps de personnes déplacées ou leurs communautés pour chercher de la nourriture ou du bois pour cuisiner dans des zones peu sûres à proximité des camps.
- Les survivant(e)s se sont présentés dans les centres de santé avec toute une série de dommages médicaux et psychologiques, notamment des lacérations, des infections sexuellement transmissibles, des grossesses non désirées, des états d’incontinence, des paralysies, des troubles de stress post-traumatique, des dépressions et des retards de développement.
- Les survivant(e)s ont signalé de nombreux facteurs de violences sexuelles, notamment le fait d’avoir été forcés de quitter leur domicile par des acteurs armés, d’avoir subi des violences sexuelles alors qu’ils fuyaient le long d’itinéraires dangereux, et d’avoir été attaqués alors qu’ils cherchaient de la nourriture ou du bois de chauffage, la pénurie de ressources les ayant contraints à se réfugier dans des zones dangereuses.
- Les prestataires de soins de santé ont du mal à faire face à la crise car ils manquent de matériel, de personnel, de formation ou de compensation pour gérer l’afflux massif de survivant(e)s.
- Les survivant(e)s se heurtent à d’importants obstacles dans l’accès aux soins, notamment la capacité limitée de documentation médico-légale dans le secteur de la santé, le manque de ressources, la peur et la stigmatisation, et l’accès inadéquat aux services de santé, y compris à la contraception et à l’avortement.
Le conflit qui dure depuis des décennies dans l’est de la RDC, s’est aggravé dans le Nord et le Sud-Kivu en 2021 avec la réapparition du groupe rebelle M23, que les experts de l’ONU ont identifié comme étant contrôlé par le Rwanda. L’intensification du conflit a conduit à des attaques généralisées contre les civils, à des déplacements de populations massifs, à un affaiblissement du système de santé et à une forte insécurité alimentaire.
Le conflit en cours a également augmenté l’incidence des maladies transmissibles, y compris le mpox (variole simienne). La capacité du système de santé de la RDC à répondre aux violences sexuelles et sexistes, déjà faible, s’est encore amoindrie, de nombreux survivant(e)s ne pouvant ou ne voulant pas se faire soigner en raison de la stigmatisation, de la fermeture des établissements et de la crainte de nouvelles violences.
Le retrait prévu des forces internationales de maintien de la paix d’ici la fin de 2024, y compris la MONUSCO et la Force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC-RF), a suscité des inquiétudes quant à la possibilité d’une nouvelle escalade du conflit.
Le rapport du PHR appelle toutes les parties au conflit à respecter le droit international des droits de l’humain et à prendre des mesures immédiates pour mettre fin aux violences sexuelles liées au conflit. Il exhorte la communauté internationale à renforcer la surveillance, l’investigation et la documentation des violences sexuelles liées au conflit, et à promouvoir la reddition de comptes et la justice pour les violations commises par toutes les parties. PHR demande également à la communauté internationale de veiller à ce que le retrait de la MONUSCO soit géré et contrôlé de manière à ce que la prévention et la responsabilité des violences sexuelles ne soient pas entravées et que les connaissances et les capacités en la matière soient transférées aux acteurs locaux.
Les agents de santé de la RDC interrogés par PHR ont identifié une série de recommandations pratiques à l’intention des décideurs politiques et des donateurs afin d’améliorer la réponse à la crise, ainsi que des bonnes pratiques émergentes pour soutenir les enfants survivants de violences sexuelles en RDC, notamment les espaces adaptés aux enfants et les programmes axés sur les enfants.
PHR travaille en RDC pour renforcer la capacité des médecins, des psychologues, des infirmièr(e)s, des forces de police, des avocats et des magistrats à documenter les preuves médico-légales des violences sexuelles, à les conserver sous une forme admissible par les tribunaux et à les utiliser pour poursuivre les auteurs de ces violences. À ce jour, PHR et ses partenaires ont formé des centaines de professionnels congolais de la médecine, du droit, de la mise en pratique de la loi, et de la justice à l’utilisation de bonnes pratiques concernant la collecte, le stockage et la transmission de ces preuves essentielles.
Physicians for Human Rights (PHR) is a New York-based advocacy organization that uses science and medicine to prevent mass atrocities and severe human rights violations. Learn more here.