Dr Lwanzo Pablo est médecin chef de Zone de santé de Butembo au Nord Kivu dans la République démocratique du Congo (RDC). Cette zone, qui dessert plus de 200 000 habitants, a été touché par la dixième épidémie de la maladie à Virus Ebola en RDC.
L’épidémie de la maladie à virus Ebola m’a rencontré en 2018 quand je dirigeais la zone de santé de Butembo au Nord Kivu. Les débuts avaient été chaotiques avec une menace réelle sur la propagation de l’épidémie dans les autres provinces de la RDC voire la sous-région de Grands lacs africains. Pourtant, des efforts considérables entrepris par le gouvernement et les communautés pour renforcer la capacité des professionnels de santé et de sensibiliser les populations ont permis de pallier ces difficultés et de contenir l’épidémie jusqu’à l’éradiquer dans ce foyer de l’Est. Dans l’attente de la fin de cette épidémie sur toute l’étendue de la RDC, le Nord Kivu doit maintenant faire face à une nouvelle menace : le Coronavirus. La RDC est mieux préparée qu’avant pour se confronter à cette pandémie et est bien positionnée pour incorporer des leçons apprises de l’épidémie d’Ebola dans sa riposte. Toutefois, il reste des faiblesses persistantes et structurelles qui entravent les efforts des acteurs de la riposte.
Parmi les difficultés que moi et mes collègues rencontrons dans la lutte contre le coronavirus figurent l’indisponibilité d’un laboratoire ou des tests de diagnostic puisque l’unique centre de dépistage en province se trouve à Goma située à plusieurs centaines de kilomètres de Butembo. Cela prend trop de temps de latence entre d’expédition des échantillons des prélèvements de patients et l’attente des résultats. Alors que pour Ebola il suffisait de quelques heures, pour la COVID-19 il faut actuellement quelques jours. Et pourtant l’accès rapide au résultat de test a fait toute la différence lors de la riposte contre Ebola puisque cela permettait de placer directement le patient en isolement et de débuter le traitement, ce qui a réduit considérablement les contaminations. Il a été rapporté que pendant cette longue attente certains malades ont déjà fui les centres d’isolement puisque n’étant pas fixé rapidement sur leur situation. Mise à part le manque d’équipement de traitement et de protection, qui est sans doute très grave, le personnel soignant n’a pas encore reçu de formation suffisante sur la prise en charge des malades de COVID-19.
Une autre difficulté supplémentaire se rapporte à la résistance de la population aux mesures sanitaires nécessaires, le port de masque et la distanciation sociale y compris. Une de raisons probables serait l’absence, dans le chef de la population, d’information fiable. En plus, les détournements et abus passés des fonds pour lutter contre l’Ebola qualifiés d’« Ebola business », intervenus lors de la crise sanitaire et qui sont loin de faciliter la compréhension, renforcent les fausses croyances sur l’existence ou la transmission du coronavirus. En effet, la plupart des malades que moi et mes collègues recevons en consultation manifeste soit du scepticisme inquiétant sur le sérieux qu’il faut apporter à la riposte contre la COVID-19 soit sont anxieux pensant que le virus a été inséré au sein de la communauté à des fins politique ou financière. Toutes ces fausses croyances augmentent la méfiance et de fois l’insouciance fautive favorable à la propagation du coronavirus.
Et pourtant, devant toutes ces difficultés, je crois qu’il est possible pour la RDC de partir des acquis de la riposte contre Ebola pour monter un modèle d’intervention efficiente pour lutter contre le coronavirus. Grâce à la lutte contre l’Ebola, la RDC possède de nos jours une ressource humaine capable d’interventions à la riposte de la COVID-19 et cela d’une manière multisectorielle. En effet, Il existe des structures sanitaires qui disposent des agents compétents pour assurer des sensibilisations communautaires, des organisations à base communautaire qui ont déjà des capacités dans l’accompagnement des communautés affectées, et les équipes de ripostes (experts épidémiologistes locaux) qui sont capables d’intervenir en temps utile en situation d’épidémie. Comme pendant l’épidémie de la maladie à virus Ebola, la riposte se doit donc multisectorielle, impliquant plusieurs acteurs professionnels puisque les actions à mener doivent se concevoir en coordination pour plus d’impact. C’est ainsi que la stratégie de riposte d’Ebola mis en œuvre par l’Etat congolais impliquait le personnel soignant (les médecins, les infirmiers, les psychologues cliniciens, etc.) mais aussi les leaders communautaires et les autorités politico-administratives, les acteurs humanitaires ainsi que les acteurs de la société civile …. Ce qui est loin d’être le cas dans les interventions actuelles. Plus inquiétant encore au sein des structures hospitalières de ma zone de santé il existe un plan de contingence clair se rapportant à cette pandémie mais difficile à rendre opérationnel faute de moyens et de partenaires.
Pour mieux répondre à cette crise, le gouvernement Congolais et les autorités provinciales devraient envisager les actions prioritaires ci-après : 1°. La formation spécifique à la COVID-19 du personnel médical et la sensibilisation de la communauté ; 2° la dotation en matériels pour la prévention et le contrôle de l’infection (PCI) pour donner des moyens afin de rendre le plan de contingence opérationnel. Ce qui comprend les tests rapides pour le diagnostic : disponibiliser les matériels et intrants PCI, renforcer la recherche de contacts et rendre opérationnel les points de contrôle sanitaires dans tous les axes ; 3° la coordination des équipes de riposte prépositionnées dans les zones de santé. Ce qui équivaut à mettre en place des actions en gamme multisectorielle pour la lutte contre la COVID-19. Elles impliquent que les différents intervenants se coordonnent suivant un plan d’action concertée sous le lead des autorités sanitaire du pays.
Il s’agit d’un temps plus difficile pour le personnel soignant auquel j’appartiens sachant que le coronavirus se déclare dans des zones à risque élevé qui font face déjà à d’autres menaces sanitaires à l’instar de la rougeole, choléra, poliomyélite. Moi et mes collègues restons disposés à respecter notre serment de médecin quoique nous intervenons dans un contexte peu sécurisé et moins fiable. J’espère sincèrement que les autorités pourront tirer les leçons de la riposte contre la maladie à virus Ebola pour que les erreurs du passé servent à éviter plus de perte en vies humaines pendant cette pandémie. A la communauté international, je suggère d’apporter un appui technique et en matérielle pour couvrir le déficit affiché dans la formation et la dotation en équipement de laboratoire, de protection et de prélèvement voir de prise en charge des cas sévère. Ce partenariat sera critique pour permettre à l’Etat congolais d’offrir une meilleure réponse contre cette pandémie.